Luc Bigé : « La langue des oiseaux exige d’être à la fois dans le délire et dans la rigueur. »

3/28/2025

Luc Bigé est à la fois rompu à l’analyse scientifique et au symbolisme.

Docteur en biochimie, il a travaillé dans des laboratoires de recherches à l’INRA et à l’université de San Francisco, tout en continuant à s’intéresser au langage de l’astrologie découvert à ses 14 ans, puis à ses liens avec la mythologie, au symbolisme du corps humain et à la langue des oiseaux. Par ailleurs, Luc Bigé a fait tout un travail personnel d’exploration autour des différents états de conscience.

De la même façon que l’œil gauche, celui de la perception non-manifesté, et l’œil droit, celui de la raison, ont tous deux des choses différentes à apporter, le symbolisme lui est apparu complémentaire avec le langage scientifique. Le symbolisme traite de la question du sens et apporte une application pratique là où, à ses yeux, la science évacue le sens du fait de la méthodologie.

Luc Bigé est le fondateur de l’université en ligne Réenchanter le monde. Elle transmet des enseignements sur le langage symbolique autour de quatre formations (l’astrologie, les mythes grecs en relation avec le thème astrologique, les fondements de la pensée symbolique et des interviews de personnes en états d’éveil, comme des chamans) qui orientent le regard de manière à découvrir un ordre sensé du monde et à trouver sa place dans celui-ci.

Parmi les nombreux ouvrages qu’il a écrit, notamment sur le symbolisme et l’astrologie, Luc Bigé est l’auteur d’un Petit dictionnaire en langue des oiseaux (Janus, 2006). Après avez présenté dans la première partie de cet entretien ce qu’était la langue des oiseaux et ses différentes approches, Luc Bigé développe l’application de la langue des oiseaux aux prénoms et aux maladies. Il alerte aussi sur les pièges à éviter.



CHIRON – « Les mots nous parlent au moins autant que nous les parlons », écrivez-vous au début de votre livre Petit dictionnaire en langue des oiseaux. Faut-il en déduire que les prénoms nous portent autant que nous les portons ? Y-a-t-il du hasard dans l’attribution d’un prénom ?


Luc Bigé – Je ne dissocie pas le prénom du nom de famille. Le prénom renvoie à l’intimité, à ce qui est de l’ordre de la différenciation. Le nom, lui, va renvoyer à une mission transgénérationnelle, à la lignée familiale. L’association du prénom et du nom dit donc la manière spécifique d’aborder une mission d’âme ou une mission transgénérationnelle.


Le prénom nous porte car, à force de nous appeler de telle ou telle manière, notre inconscient résonne avec lui. À chaque fois que quelqu’un prononce notre prénom, c’est comme s’il recevait une injonction à se réaliser dans la sonorité et dans la forme qui constituent la langue de l’inconscient comme je l’ai évoqué en première partie d’entretien.


Je ne pense pas qu’il y ait forcément de prédestination dans l’attribution des prénoms. Le choix par les parents peut être lié à une conscience de l’âme de l’enfant en train de s’incarner mais cela peut aussi être un hasard, le prénom de grands-parents. Il y a plein de possibilités !


« Les prénoms ou surnoms qui sont des diminutifs entraînent une diminution de la valeur de la personne, une dévalorisation. »


Comment faire avec quelqu’un qui se fait appeler par un surnom ?


Il faut alors prendre en compte le surnom et non pas le prénom attribué par les parents.


Prenons l’exemple de quelqu’un qui s’appelle Pierre mais qui est appelé Pierrot par tout le monde. Ce surnom renvoie au pierrot lunaire, donc à quelque chose de plus ludique que le prénom pierre associé à la solidité, à la structure et à la prière (prière est l’anagramme de pierre). Pierrot introduit aussi davantage de souplesse, de légèreté.


Concernant les surnoms, il faut faire attention aux prénoms qui finissent en « -ette ». Ce sont des diminutifs. À ce titre, ils entraînent une diminution de la valeur de la personne, une dévalorisation. Certaines personnes choisissent cependant de changer leur prénom car l’âme sent que celui qui fut choisi par les parents n’est pas en adéquation avec leurs natures profondes. C’est donc loin d’être un caprice.


Pouvez-vous donner un exemple d’interprétation d’un prénom à partir de la langue des oiseaux, par exemple avec le prénom Monique ?


Monique renvoie à monos (seul, moine) et à Niké, la déesse grecque de la victoire, donc il y a l’idée d’une victoire sur la solitude ou d’une victoire sur soi par la solitude.


Monique peut s’entendre « aime honni que » et signifier que le sentiment de solitude provient d’une blessure d’amour, d’un questionnement (« que ? ») produit par un double message qui dit à la fois « je t’aime » et « je te déteste ».


Dans un premier temps, cette ambivalence de l’amour et de la haine est perçue comme une injustice par « aime (M) haut (O) haine (N) « hic » au sens de problème (ique) ». Le travail intérieur consistera donc à traverser la peur et la haine, donc ce sentiment de solitude évoqué, grâce à la force de l’amour pour trouver son axe (I) et l’ancrer dans un paradis sur la terre (Q).


« Il est fondamental pour comprendre la façon dont la personne est portée par son prénom de prendre en compte le contexte familial, historique, social etc. et son niveau de conscience. »


De la même façon qu’un aspect astrologique peut signifier des choses très différentes, de grandes capacités artistiques chez l’un ou un formidable charme chez l’autre, un prénom qui parle de la notion de père peut-il avoir de multiples déclinaisons, ce qui explique les différences de parcours et de vie chez des personnes qui portent le même prénom ?


En effet, et, encore une fois, cela s’explique par le fait que le symbole est polysémique. Il est donc fondamental à nouveau de prendre en compte le contexte familial, historique, social etc. et le niveau de conscience de la personne.


« Père » peut être lu au niveau familial le plus évident. Il s’entend « perdre » donc évoque l’absence de repère. Il peut se rapporter encore au niveau spirituel (le « père spirituel »), auquel cas la personne cherche un contact plus précis avec la volonté de Dieu et à comprendre son destin.


Le nom de famille peut être une aide précieuse pour trouver la manière dont la personne vit son prénom.


Après cette illustration par les prénoms, pouvez-vous maintenant montrer en quoi la langue des oiseaux peut donner de précieuses clés de compréhension au sujet des maladies ?


Je prends l’exemple de la Carie dans mon livre. C’est l’anagramme d’Icare, l’homme-oiseau qui tenta de rejoindre le soleil sans réaliser qu’il était trop jeune et immature pour cela. Il est donc question d’immaturité juvénile par rapport à sa maison, à son dedans, à son « palais » Une carie est un appel à se préoccuper de sa vie intérieure, négligée, à revoir la façon dont on se défend par rapport au monde extérieur.


L’Eczéma ramène lui au passé. On y entend « ex aima », le fait d’avoir le sentiment de ne plus se sentir aimé comme avant. L’eczéma parle de l’impression d’être en dehors de l’amour (maternel, du conjoint, des siens). Le corps souffre d’un manque de contact et il l’exprime à sa façon. L’eczéma parle donc d’une peur de l’abandon sur le plan affectif, d’une difficulté à se détacher d’une personne aimée alors que la vie pousse à devenir plus autonome. La zone corporelle concernée par l’eczéma donne des informations supplémentaires sur le domaine où l’autonomie défie le besoin de sécurité. Les bras, par exemple demandent de prendre un problème à « bras le corps », de passer à l’action.


Prenons, pour finir, le mot d’anorexie. Le mot peut se lire de deux manières. Ano-rex-i renvoie à l’anneau (ano) du roi (rex en latin) dans une alliance verticale entre ciel et terre (le « I »). Autrement dit, il y a chez la personne anorexique le désir profond d’être en alliance avec la transcendance. C’est pourquoi elle refuse la nourriture et devient maigre comme un I. Pourtant cela ne suffit pas car elle doit aussi se libérer de sa haine (A privatif de N) et traverser les peurs qui empêchent l’expression de ses émotions (O, eau) qui limitent sa prise d’espace (R, air, errance) et lui font perdre son axe (EXIE).


On peut aussi lire anorexie comme le fait de savoir que je porte en moi de l’or (or) mais que je me sens privé (A) d’axe (-exie) et incapable d’affronter ma violence, ma haine (N). Le désir de perfection ne peut s’exprimer à cause d’un refus de la haine et d’un manque d’incarnation (ex, en dehors de) dans sa verticalité (I).


« La langue des oiseaux demande de garder un état de conscience à la fois très ouvert à toutes les possibilités et d’être très centré pour savoir distinguer l’essentiel de l’inutile pour soi, qui n’est pas l’inutile en soi. »


Peut-on en conclure que la langue des oiseaux a un pouvoir de guérison ?


La langue des oiseaux révèle des choses dans le langage de l’inconscient. C’est à ce titre qu’elle est guérisseuse. Écouter son inconscient peut créer du sens, peut faire passer le symptôme au niveau de la conscience et donc permettre de le dissoudre.


De plus, guérir peut s’entendre « gai-rire ». Il y a une libération par le rire car il est une frontière, il signale qu’on est sur le point de passer à un autre niveau de conscience, soit vers le bas soit vers le haut. On peut rire d’une blague salace parce qu’on est à la frontière de l’admissible et de l’inamissible, on peut aussi avoir un grand rire quand on est à la lisière du monde spirituel et du monde ordinaire !


La place qu’occupe le mot de guérison dans notre culture est d’ailleurs inquiétante. Avant, on guérissait les gens. On leur permettait de retrouver la joie, l’enthousiasme et le désir de vie. Ensuite, on a soigné les gens, c’est-à-dire qu’on a « nié le soi, soi-nié ». On a soigné la personnalité et non plus l’âme. Maintenant, on « traite » les malades, comme s’ils étaient des données, quelque chose de purement matériel et objectif à traiter par des processus.


Pour conclure, est-ce que vous diriez que la langue des oiseaux, dont vous avez montré l’infinie palette qu’elle offrait, doit être maniée avec précaution ?


La langue des oiseaux exige d’être à la fois dans le délire et dans la rigueur ! On ne peut pas prendre tout ce qu’elle donne pour argent comptant. Il faut seulement garder ce qui résonne avec l’intérieur de la personne pour ne pas tomber dans une surinterprétation.


Le risque est similaire à celui de voir des signes partout, ce qui exprime surtout une inquiétude, une incapacité à revenir au sens étymologique de connaissance (« naître avec »). Toute information liée au signe est susceptible de créer une transformation intérieure chez nous et de nous faire renaître. Cela peut prendre du temps, plusieurs mois, pour intégrer l’information. Se précipiter sans cesse sur de nouveaux signes veut dire qu’on est hors de soi.


Pour résumer, je dirai qu’il y a deux écueils à éviter quand on travaille sur la langue des oiseaux. Le premier est de croire qu’il s’agit de simples jeux de mots et donc de faire des pirouettes en permanente. Ce serait travailler avec la coque sans voir la semence, sans voir la graine à l’intérieur. Le deuxième écueil est de voir du sens partout. On perd alors la dimension du sacré car on ne le ramène plus à son propre coeur.


La langue des oiseaux est donc délicate à utiliser. Elle demande de garder un état de conscience à la fois très ouvert à toutes les possibilités et d’être très centré pour savoir distinguer l’essentiel de l’inutile pour soi, qui n’est d’ailleurs pas l’inutile en soi.


Les livres conseillés par Luc Bigé :


*Sur la langue des oiseaux :


Yves Monin, Hiéroglyphes français et langue des Oiseaux.

Richard Khaitzine, quand littérature et langue des oiseaux se rencontrent.


*Autre (complémentaire) :

Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française.