
Luc Bigé : «La langue des oiseaux est basée sur des archétypes et des symboles. »
3/22/2025



Luc Bigé est à la fois rompu à l’analyse scientifique et au symbolisme.
Docteur en biochimie, il a travaillé dans des laboratoires de recherches à l’INRA et à l’université de San Francisco, tout en continuant à s’intéresser au langage de l’astrologie découvert à ses 14 ans, puis à ses liens avec la mythologie, au symbolisme du corps humain et à la langue des oiseaux. Par ailleurs, Luc Bigé a fait tout un travail personnel d’exploration autour des différents états de conscience.
De la même façon que l’œil gauche, celui de la perception non-manifesté, et l’œil droit, celui de la raison, ont tous deux des choses différentes à apporter, le symbolisme lui est apparu complémentaire avec le langage scientifique. Le symbolisme traite de la question du sens et apporte une application pratique là où, à ses yeux, la science évacue le sens du fait de la méthodologie.
Luc Bigé est le fondateur de l’université en ligne Réenchanter le monde. Elle transmet des enseignements sur le langage symbolique autour de quatre formations (l’astrologie, les mythes grecs en relation avec le thème astrologique, les fondements de la pensée symbolique et des interviews de personnes en états modifiés de conscience comme l’éveil où la transe chamanique) qui orientent le regard de manière à découvrir un ordre sensé du monde et à trouver sa place dans celui-ci.
Parmi les nombreux ouvrages qu’il a écrit, notamment sur le symbolisme et l’astrologie, Luc Bigé est l’auteur d’un Petit dictionnaire en langue des oiseaux (Janus, 2006). Il explique dans le cadre de cet entretien ce dont il s’agit, les différentes approches sur laquelle elle repose et ce qu’elle permet de comprendre de l’évolution des sociétés humaines.
Chiron - Comment définiriez-vous la langue des oiseaux ?
Luc Bigé – Définir, c’est « finir » et donc enfermer ! Pour présenter la langue des oiseaux, je dirai qu’elle est la manière dont l’inconscient se réapproprie les sonorités et les formes des lettres et des mots pour développer son propre langage et dire son propre message.
L’inconscient n’est pas grammairien, il n’est pas scientifique, il n’est pas cartésien. Son langage n’enchaîne pas les arguments pour faire des démonstrations. Il a une logique de base, synthétique, souvent analogique, sensible à deux choses seulement : la sonorité et l’image. Il est souvent plus proche à ce titre de la poésie. On le voit à nos rêves qui nous semblent totalement incohérents si on les analyse de manière logique mais qui sont pourtant producteurs de sens.
«La langue des oiseaux, comme l’astrologie et la numérologie, explorent la nature contradictoire et complémentaire de la source du réel. »
Le fait que la logique de l’inconscient soit souvent analogique signifie-t-il que la langue des oiseaux dit une chose et son contraire ?
La langue des oiseaux, tout comme la numérologie, l’astrologie, les tarots, la géomancie et pourquoi pas le marc de café, sont toutes des techniques qui explorent la nature du monde du sens. Elles sont non-rationnelles, basées sur des archétypes et des symboles, qui sont les traces laissées par le passage des archétypes sur la Terre et prennent une forme imaginaire (dans les rêves) ou très concrète (dans notre vie quotidienne, voir une biche traverser la route par exemple). Les archétypes et les symboles perçoivent la nature contradictoire et complémentaire de la source du réel.
Le modèle de l’unus mundus, développé par Jung et Pauli dans leurs échanges épistolaires, se situe au-delà de l’espace et du temps. Il est le monde unitaire à l’origine des mondes psychiques et de l’organisation matérielle. Les archétypes, les principes, les chaînes de sens qui sont dans l’unus mundus sont présents à la fois dans le monde matériel et dans le monde psychique. Par exemple, une apparition comme celle de la Vierge se fait dans un corps de manifestation et inversement il y a un minimum d’Esprit dans la matière. C’est ce qui permet de comprendre les synchronicités.
Vous présentez dans votre livre Petit dictionnaire en langue des oiseaux l’approche en 7 étapes de la langue des oiseaux d’Elli Mizikas, maître ès science des textes et documents à Paris VII. Pouvez-vous expliquer d’abord les étapes les plus évidentes, celles de l’étymologie, de l’homonymie et de l’euphonie ?
L’étymologie donne souvent des indications car elle plonge aux racines - en l’occurrence les racines indo-européennes dans nos cultures - du langage. Le coeur, par exemple, vient de la racine européenne -cuer et il a donc la même racine que le courage. La fameuse réplique « Rodrigue as-tu du coeur ? » dans Le Cid signifie en effet « Rodrigue as-tu du courage ? ».
L’homonymie est également une approche riche de sens car l’inconscient ne connaît par l’orthographe. Le symbole est polysémique : une même sonorité peut avoir plusieurs sens ! Quand l’inconscient représente dans un rêve un « petit a » (le a minuscule donc), il entend donc aussi un « petit tas ».
L’euphonie, enfin, se fonde sur le fait que l’inconscient reconnaisse avant tout les sonorités. L’exemple bien connu maintenant est celui du mot maladie. On y entend mal-a-dit donc la maladie informe sur ce « que dit le mal ? ». Dans le mot « âme », qu’on peut entendre â-me, le A est privatif du -me, donc du « moi ». L’âme est donc quelque chose en dehors du moi, de l’égo.
D’autres approches sont moins évidentes. Pouvez-vous expliquez ce que sont le lanternois et les interversions ?
Le lanternois est une technique, tirée de la Kabbale, qui consiste à enlever les voyelles pour ne garder que les consonnes. On peut ainsi obtenir des parentés de langage, des familles de mots. Le mot « évoluer » peut être ramené par exemple au mot de « voile » lorsqu’on change les voyelles. Toute évolution est derrière le voile, dans le secret d’une intimité, celui de la grande mère, celui de l’océan, celui de l’utérus. On y retrouve toute la relation symbolique entre le sacré et le secret.
L’interversion consiste à changer de place des parties du mot ou des sonorités. « Dépressif » peut se transformer en « si près du feu », car le « f » se prononce « fe » dans la bouche des enfants. Le dépressif est celui qui a vu la grande lumière, qui a eu un enthousiasme. Il l’a sentie si près de lui mais le feu a disparu, ou il n’a pas pu l’atteindre, donc il y a eu un retour de flamme chez lui et, d’une certaine façon, un sentiment d’impuissance.
L’approche par interversion induit que le verlan est riche d’informations. Il a émergé dans l’inconscient collectif dans le contexte d’un retour du langage symbolique et d’une aspiration à retrouver une souplesse dans le langage en s’affranchissant du carcan de la grammaire et des institutions dominantes.
Pouvez-vous finir en expliquant l’approche par la lecture hiéroglyphique et celle par les chiffres et le zodiaque ?
Dans l’alphabet, chaque lettre a sa propre signification. Elle représente un archétype donc une puissance de sens, une puissance de manifestation, du fait précisément de sa forme et de sa sonorité.
La lettre A représente par sa forme la sortie du monde des origines pour mieux se manifester sur la ligne horizontale. Dans de nombreuses langues, on trouve d’ailleurs un cercle au-dessus de lui. Le A est donc la première division qui permet la manifestation, la création. C’est d’autant plus vrai qu’il est la première lettre de l’alphabet, c’est-à-dire là où tout a commencé. Toutefois, un archétype étant une chose et son contraire, le A est aussi un retrait dans le silence, vers l’au-delà (« eau de l’A »).
L’approche par les chiffres et le zodiaque sur fonde sur l’association de chaque lettre à un nombre et à un signe du zodiaque. Cela commence logiquement par le A et le Bélier, premier signe astrologique, et cela s’enchaîne jusqu’à la fin de l’alphabet. Il existe cependant plusieurs systèmes de correspondances pour les nombres. Cette dernière approche se fonde sur la thèse d’une commune origine entre signes du zodiaque, lettres de l’alphabet et nombres.
« La langue ressemble à une cathédrale sonore où les voyelles seraient l’esprit qui habite le lieu et les consonnes les pierres qui élaborent l’édifice. »
Est-ce qu’on peut déceler une évolution de lettre en lettre dans l’alphabet ?
Chaque lettre prend la suite de la précédente donc elles forment une sorte de discours initiatique. Le point originel se manifeste sur la terre avec le A et tout se termine avec le Z dont on voit bien à sa graphie qu’il relie le ciel à la terre par la diagonale de l’évolution, qu’il marie le haut et le bas
Le M, par exemple, renvoie à l’amour (« aime ») mais c’est aussi une lettre tournée vers la terre dans sa forme. C’est le V sur 2 jambages, le V matriciel, le féminin maternel, qui se pose sur la terre. Il est maternant et protecteur. Le N qui suit le M s’oppose à l’amour (« la haine ») mais il est aussi le déplacement du « I », auquel s’ajoute la ligne diagonale de l’évolution et qui se verticalise pour retourner vers le ciel. Donc, une fois que nous sommes ancrés dans le M de l’amour, nous pouvons nous verticaliser, sortir de la matrice en traversant nos haines, grandir en conscience et en indépendance.
On en arrive alors au O, le canal de la naissance, la conscience de la totalité. On renaît avec le O à la totalité de soi-même, on est dans le zéro (qui ressemble au O) qui précède la totalité de tous les nombres (là où le I évoque le 1, l’unité manifestée, le pont entre le haut et le bas), on est dans le vide . On peut dès lors trouver la paix intérieure avec le P.
Je parle ici seulement de majuscules. Je ne sais pas si la langue des oiseaux peut prendre en compte les minuscules dont la graphie diffère des majuscules.
Quelles sont les différences entre les voyelles et les consonnes ?
On les perçoit à la manière de prononcer les lettres. Les voyelles sont du souffle sans obstacle dans la gorge alors que les consonnes ont besoin de la langue, qui fait obstacle au souffle, pour pouvoir s’exprimer.
La voyelle renvoie au pneuma, au souffle de l’Esprit (il y a donc cinq manières utilisées par l’Esprit pour manifester sa propre nature) et les consonnes sont là pour lui donner une forme précise. La langue ressemble ainsi à une cathédrale sonore où les voyelles seraient l’Esprit qui habite le lieu et les consonnes les pierres qui élaborent l’édifice.
La langue n’est pas pour rien l’anagramme de louange (le « u » se prononce « ou » dans beaucoup de langues) ! Elle est faite pour la louange, pas pour la critique. On lit aussi « lu ange » dans « langue », d’où le fait qu’on appelle aussi la langue des oiseaux « la langue des anges ».
Sur le site de Rééchanter le monde, Vous citez Gilbert Durand, qui est un philosophe qui a travaillé sur les structures de l’imaginaire. En quoi la langue des oiseaux permet-elle de comprendre l’évolution des sociétés humaines et l’identité des pays ?
Le langage évolue. Certaines langues plus encore que d’autre, la langue anglaise étant par exemple moins figée que le français. On peut donc effectivement regarder l’évolution du langage en général comme le signe visible de l’évolution des cultures et des sociétés ainsi que des grandes valeurs qu’elle portent.
La langue n’est pas le seul significateur de l’âme des peuples, sinon la Belgique, la Suisse et le Luxembourg auraient les mêmes typologies que la France. La culture, les grandes manifestations musicales et picturales sont aussi les symboles de l’âme d’un peuple et marquent les grandes étapes de son histoire.
La langue est néanmoins un élément important. Le français est franc (franc c’est). C’est certainement ce pourquoi il a une longue tradition diplomatique, car le français sait dire les choses pour créer la concorde. L’anglais est la langue de la matière. C’est à partir de la glaise (en-glaise) que le corps physique de l’homme a été formée dans l’histoire de Prométhée par exemple, mais également dans d’autres textes. Comme elle façonne la matière, la langue anglaise est aussi la langue des affaires, du business.
« Il faut tout oser, et celui qui ose tout pêche quelques perles de sens dans le monde du désordre. »
La langue des oiseaux montre donc les évolutions dans le temps et permet de comprendre les différences entre les pays. À l’inverse, la langue des oiseaux établit-elle des ponts entre les cultures et entre les périodes historiques puisque l’inconscient s’affranchit des frontières ?
L’inconscient garde la mémoire de l’histoire de la langue. On peut donc trouver le sens d’un mot avec la langue des oiseaux en y décelant un mot d’ancien français. On peut aussi en trouver un autre en isolant un mot issu d’une autre langue. Ainsi le terme « berceau », où l’on entend immédiatement « berce-eau » qui se réfère donc au fait d’adoucir un état émotionnel (l’eau), vient de l’ancien français bers, une sonorité que l’on retrouve dans le haubert (une armure qui protége le haut du corps) et dans le prénom Robert, que l’on pourra lire comme le héros (RO du berceau, celui qui protège et amène à maturité tous les commencements). Il n’y a bien sûr rien d’étymologique dans ces considérations un peu « délirantes ». Par ailleurs de longues périodes historiques comme la Guerre de Cent ans ont produit une sorte d’interfécondation de l’anglais et du français dans l’inconscient collectif.
Que répondez-vous, justement, à ceux qui voient seulement du délire dans toutes ces approches de la langue des oiseaux, ou dans certaines d’entre elles seulement ?
« Le fou est celui qui a tout perdu, sauf la raison » disait Chesterton. Il faut précisément entrer dans le délire ! Le délire, c’est « lire » à partir du « E ». Le E est la cinquième lettre de l’alphabet, en relation analogique avec le signe du Lion. Il relie par sa ligne verticale les plans physique, émotionnel et mental. Il est le lieu de l’affirmation d’une personnalité qui ose tout.
En positif, le délire ouvre à la dimension dionysiaque, dont la queue de manifestation est le carnaval aujourd’hui. Il faut tout oser, et celui qui ose tout pêche quelques perles de sens dans le monde du désordre. En négatif, le E est le doute. On dit « euh » comme on ne sait pas, quand on n’hésite et que trop de possibilités s’ouvrent à nous.
Donc oui, le délire est dangereux, la raison pure aussi. L’un et l’autre devraient apprendre à danser ensemble pour dessiner un monde joyeux, stable et évolutif.

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